IA sensible, empreinte invisible : critique des récits écologiques génératifs

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IA sensible, empreinte invisible : critique des récits écologiques génératifs
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L’œuvre est générée à partir de captures vidéo du ciel en temps réel, acquises par une caméra orientée vers la voûte atmosphérique. Ces flux visuels sont interprétés via un pipeline de vision par ordinateur reposant sur des techniques de machine vision. Les algorithmes segmentent les formes nuageuses, analysent les variations lumineuses et calculent les trajectoires de déplacement atmosphérique. Ces coordonnées constituent ensuite les points d’ancrage où s’affichent les fragments textuels générés, chaque séquence de mots étant positionnée exactement au pixel qui a déclenché son émergence.
Autour du texte incrusté, des lignes ondulantes s’organisent comme une visualisation vectorielle du mouvement dans le champ détecté. Leur modulation évoque une cartographie dynamique des forces de circulation : courants d’air, densité des nuages, trajectoires ou turbulences. L’esthétique qui en résulte matérialise un hybridisme sémiotique entre données atmosphériques et inscription diagrammatique, où les formes météorologiques deviennent actantes du processus d’écriture.
Le geste global de l’œuvre adopte une tonalité conceptuelle que Richard Carter qualifie lui-même de « langage éolien augmenté » : une langue née de l’alliage entre le vent, l’apprentissage automatique et le mouvement des nuages. Ce terme fonctionne comme une métaphore performative plutôt que comme la désignation d’un modèle linguistique stricto sensu : ce sont les forces physiques du vent et les propriétés visuelles des nuages qui agissent comme opérateurs de déclenchement, tandis que l’algorithme apprend, traduit et actualise ces mouvements en séquences signifiantes situées. L’« auctorialité » ne disparaît pas, mais se décentralise : elle se distribue au sein d’une collaboration inter-agents où l’atmosphère devient source d’inscription directionnelle et où la spatialisation du texte est déterminée par les conditions internes du système de détection.

Si l’œuvre produit un contre-récit notable en hybridant phénomènes naturels et apprentissage automatique, sa gestuelle écologique comporte un risque narratif important : celui de reconduire une illusion de synchronie harmonieuse entre « nature » et IA. Ce trope, récurrent au sein des récits techno-industriels contemporains, est particulièrement visible dans les narrations produites par des acteurs tels que Google DeepMind ou des plateformes créatives comme Runway, qui valorisent une IA éco-sensible, empathique ou « propre », tout en laissant hors-champ les conditions matérielles et infrastructurelles qui soutiennent leur fonctionnement (consommation énergétique, systèmes de refroidissement, chaînes extractives de production des composantes, etc.).

Dans l’œuvre, cette tension apparaît dans un double mouvement : elle déploie un imaginaire de collaboration sensible avec l’atmosphère, mais sans rendre explicites les médiations matérielles qui conditionnent cette lecture computationnelle du ciel. L’écologie est présente comme geste, surface et flux perceptifs, mais l’infrastructure algorithmique qui permet cette littérature météorologique située demeure esthétiquement lissée, presque « magiquement propre ».

En redistribuant les conditions de déclenchement du texte à des actants autres qu’humains (vent, nuages, pixels comme lieu d’écriture), elle révèle comment les récits positifs de symbiose nature–machine peuvent simultanément créer des imaginaires utiles et porter des angles morts idéologiques lorsque les conditions matérielles de l’intelligence computationnelle restent invisibilisées. L’œuvre agit donc comme un laboratoire critique, qui permet de penser les médiations sensibles du vivant tout en invitant à une vigilance accrue quant aux cadres narratifs écologisants appliqués à l’IA.
Le contenu à relier (ressource physique, actant, conceptuelle)
Nephoscope
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Julie-Michèle Morin
Média(s) (partie gauche)
Nephoscope (captures d'écran de l'oeuvre)

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