Amygdalia + The Ai Prosthesis : Prothèses indociles

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Amygdla (2015-2018) est une œuvre centrale dans le cycle 7 Configurations de Marco Donnarumma, notamment parce que la machine conçue pour cette installation sera reprise et transformée dans plusieurs œuvres subséquentes de l’artiste. L’installation prend la forme d’un membre artificielle suspendue à l’intérieur d’une cabine de serveur informatique. Cette dernière rappelle l’entreposage des pièces de viandes dans les boucheries. Cette machine, animé par des réseaux neuronaux biomimétiques, exécute un rituel lent et répétitif : elle apprend, de manière autonome, à inciser une peau artificielle selon les principes d’un rituel animiste de skin-cutting, pratiqué dans diverses cultures en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en Afrique et en Asie de l’Est.

Ce geste, historiquement associé à des rites de purification et à des mécanismes de reconnaissance sociale, est ici réinvesti dans un contexte machinique. Le robot, doté d’une intelligence artificielle, est capable d’en imiter les gestes, mais sans en saisir la portée symbolique ou culturelle. Incapable d’en comprendre les fondements spirituels, il répète mécaniquement l’action de découpage, sculptant la peau avec une précision à la fois sensuelle et abjecte. Cette ambiguïté — entre organicité apparente et brutalité computationnelle — constitue le cœur de la tension esthétique d’Amygdala. Fabriquée à la main par Donnarumma à partir de différents matériaux, la peau artificielle porte les traces de cet apprentissage erratique. Devenue vestige de cette interaction, elle sera exposée dans l’installation Calyx (2019), sous forme de reliques installatives.

Dans cette œuvre, Donnarumma met en parallèle les rituels de purification traditionnels et les technologies contemporaines d’intelligence artificielle, soulignant leur rôle commun dans les politiques de catégorisation du corps. Les rituels d’initiation ou de purification ont toujours servi à structurer l’accès aux privilèges et à l’appartenance sociale. Aujourd’hui, ce sont les systèmes algorithmiques — opaques, automatisés — qui conditionnent l’accès aux services publics, aux soins de santé, ou aux statuts sociaux. Selon Donnarumma, Amygdala dévoile ainsi un enjeu politique fondamental : la manière dont les dispositifs techniques contemporains reproduisent des formes historiques de tri et de hiérarchisation des corps. L’œuvre révèle une continuité entre les systèmes symboliques du passé et les infrastructures technocratiques du présent, en plaçant l’intelligence artificielle au cœur de la fabrique contemporaine des subjectivités.

Les prothèses robotiques développées pour Amygdala ont également servi de base conceptuelle et technique à une œuvre ultérieure : The AI Prosthesis (2020). Cette installation met en scène une série de prothèses créés par l’artiste et qui ne cherchent ni à imiter l’anatomie humaine de manière réaliste ni à s’inscrire dans l’esthétique futuriste des robots humanoïdes traditionnelles. Complètement étranges, ces prothèses ont des formes allongées, anguleuses et parfois tubulaires. Elles semblent conçues pour parasiter le corps plutôt que de s’y greffer harmonieusement.

Ces dispositifs prolongent l’exploration de Donnarumma autour d’une agentivité machinique non-normative. Contrairement à l’imaginaire transhumaniste qui valorise la prothèse comme instrument d’optimisation du corps humain, l’artiste propose une lecture critique et relationnelle : ses prothèses ne prolongent pas le corps, elles cohabitent avec lui ; elles ne visent pas à combler un manque, mais à générer des configurations instables, intersubjectives et vulnérabilisantes. Ce faisant, Donnarumma redéfinit la prothèse comme acteur performatif à part entière — non pas servile, mais doté d’une forme d’autonomie sensorielle et cognitive, capable de perturber nos conceptions du corps, de l’altérité et de la technologie.

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