Une pratique du contre-emploi

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Le statactivisme est un projet théorique et politique développé par Isabelle Bruno et Emmanuel Didier, auquel s’est joint Julien Prévieux, dans le cadre d’un ouvrage collectif visant à interroger les usages contemporains de la quantification. Il s’agit d’un néologisme forgé pour désigner une série de stratégies critiques qui cherchent à retourner les outils de la quantification contre les formes de contrôle et de domination qu’ils produisent. L’objectif est de se réapproprier les nombres pour les mobiliser dans une perspective émancipatrice, en déjouant la mainmise des données sur nos existences.

Dans un entretien publié dans la revue Espace, Prévieux observe que « statistiques, computation généralisée et mise en données du monde nous évaluent sans cesse, nous assignant des objectifs à atteindre en nous engageant dans une course à laquelle nous n’avons pas demandé de participer » (2020 : 52). Le statactivisme, dès lors, doit être compris à la fois comme un mot d’ordre militant, à brandir dans les luttes, et comme un concept opératoire permettant de qualifier des pratiques de résistance fondées sur une reconfiguration critique de la quantification.

Julien Prévieux s’inscrit pleinement dans cette démarche en chorégraphiant les effets de la quantification acharnée sur nos vies et sur nos corps. À travers ce qu’il nomme des « cartographies théâtralisées de la mesure du monde » (ibid.), il met en scène l’emprise des dispositifs métriques contemporains. Son approche conjugue un vocabulaire gestuel hérité de la danse postmoderne américaine avec l’univers des procédés scientifiques et technologiques, dans un effort pour dénaturaliser ces outils et révéler leur pouvoir performatif.

Dans cette perspective, Off Balls, Books and Hats peut être lu comme un geste artistique qui prolonge l’« art du contre-emploi » que Jean-Paul Fourmentraux identifie chez Julien Prévieux. Ce dernier y détourne les logiques de mesure et de contrôle issues des technologies numériques pour mieux en révéler les effets absurdes et normalisateurs. À travers une série de gestes chorégraphiés inspirés des protocoles d’évaluation comportementale et des routines de mouvement prescrites par les objets dits « intelligents », l’artiste met littéralement en scène l’aliénation du corps soumis à l’injonction à l’optimisation. Comme le souligne Fourmentraux, « Le processus de travail statactiviste consiste, au contraire, dans sa dimension artistique, à proposer d’autres usages des technologies pour (ré)activer et libérer leur portée esthétique et ludique. Empreints de sociologie, après avoir souligné les dérives de la quantification dans les technologies de pouvoir contemporaines, ces projets visent à imaginer des formes possibles de résistance à celle-ci. Il s’agit en effet de prôner l'activisme en faveur d’un usage émancipateur et non asservissant des chiffres. Le constat initial résidant dans le caractère ambivalent de la statistique, historiquement employée à des fins de contrôle social : comme le dit bien l’étymologie allemande du terme Staat qui renvoie aux sciences de l’État, que l’homme de pouvoir doit maîtriser et connaître. Ce qui suffit à nous rappeler combien des enjeux de pouvoir se tiennent tapis derrière les chiffres et les nombres » (2020 : 17).

En réinscrivant les dispositifs de quantification dans un espace scénique, Prévieux déjoue la logique d’efficacité qui leur est assignée et en révèle la vacuité, tout en ouvrant un espace de relecture sensible et critique. Ce faisant, Off Balls, Books and Hats ne se contente pas de critiquer le monde quantifié : il le performe autrement, en activant des formes de désobéissance gestuelle et de micro-sabotage créatif, au cœur même des techniques qu’il détourne.

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