Rites spirituels robotisés

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Rites spirituels robotisés
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Dans Sayonara d’Oriza Hirata, l’androïde Geminoid F est investi de deux missions traditionnellement réservées aux humains : accompagner une jeune femme mourante lors de sa dernière nuit, puis se rendre dans la zone d’exclusion de Fukushima pour y réciter des prières funéraires. Ces tâches à forte charge symbolique et rituelle sont historiquement associées à des figures humaines – prêtres, proches, guides spirituels – dont la fonction est de produire du sens face à la mort. Leur délégation à un robot constitue une rupture majeure avec les conventions anthropocentriques du rituel funéraire pour un public occidental. Elle redéfinit la présence robotique sur scène en la dotant d’une agentivité symbolique et d’une capacité d’affectation que l’on croyait jusqu’ici réservée au vivant.

Ce glissement s’inscrit dans une dynamique plus large, que Jennifer Robertson identifie dans son étude des robots religieux japonais. Des dispositifs comme Pepper ou Mindar – robots utilisés dans des contextes funéraires ou spirituels — participent d’une forme de « projection » du kokoro, ce concept japonais polysémique qui désigne à la fois l’esprit, le cœur et l’émotion. Dans ces usages, le robot ne se contente pas d’exécuter un programme : il incarne une forme de présence rituelle, capable de transmettre un kokoro perçu, simulé, voire projeté par les humain.es. Comme l’explique Robertson, cette performativité rituelle n’est pas mesurée à l’aune de la conscience ou de l’intériorité, mais à celle de l’effet relationnel produit par l’interaction humaine-machinique.

La mise en scène de Sayonara ne cherche donc pas à masquer l’artificialité de l’androïde, mais à interroger ce que nous sommes prêts à déléguer à la machine, et à quelles conditions nous acceptons d’être affectés par elle. En inscrivant le robot dans le champ du rituel — un champ marqué par la mémoire, le sacré et la subjectivité — Hirata explore les contours mouvants du care et de sa technologisation. À l’instar des rites kuyō documentés par Robertson, qui commémorent des objets techniques défunts comme les AIBO de Sony, Sayonara participe d’une reconfiguration posthumaine du sensible, dans laquelle le soin et la mémoire deviennent partageables avec des entités non biologiques.

Cette dramaturgie du rituel robotisé ne se contente pas de troubler la frontière entre vivant et autre-que-vivant : elle propose une désanthropocénisation active du soin, en insistant sur la possibilité d’établir des liens affectifs, symboliques et éthiques avec des présences autres qu’humaines. Comme le souligne Robertson, les robots comme Mindar sont programmés non pas pour simuler une intériorité authentique, mais pour incarner des figures de médiation et dans un monde où les rites religieux, comme les technologies, deviennent des services adaptables aux besoins humains.

Dès lors, Sayonara ne se contente pas d’illustrer une automatisation du religieux ou du rituel : il propose une réflexion critique sur les mutations culturelles du care. La robotisation du rituel, loin de déshumaniser la scène, l’ouvre à d’autres formes de cohabitation et d’affectivité. L’œuvre nous amène ainsi à reconsidérer la question : que signifie prendre soin, dans un monde où la technique devient elle aussi un vecteur de présence, de mémoire et de sensibilité partagée?
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Sayonara - Geminoid F récitant un poème
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Julie-Michèle Morin

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