Robotisation des soins, prendre soin des robots

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Robotisation des soins, prendre soin des robots
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Dans Sayonara, Oriza Hirata met en scène Geminoid F, un robot anthropomorphe féminin conçu en collaboration avec le roboticien Hiroshi Ishiguro. Comme le souligne Ian Fénélon dans sa thèse Des robots sur la scène, aspects du cyber-théâtre contemporain (2017), la gynoïde –calquée sur une jeune femme japonaise anonyme–, trouble profondément les frontières entre le biologique et le technologique, entre le vivant et l’artificiel, entre l’actrice de chair et son double machinique. En effet, les créations robotiques d’Ishiguro s’inscrivent dans une logique anthropomimétique, cherchant à reproduire avec précision l’apparence humaine. Contrairement à d’autres artistes contemporains tels que Stefan Kaegi, Éric Minh Cuong Castaing ou Kris Verdonck, qui conçoivent souvent le robot comme un élément perturbateur ou allégorique, Hirata met en scène une machine conçue pour suppléer, voire remplacer, la présence humaine dans ses fonctions affectives et sociales.

Cet imaginaire de la substitution s’inscrit dans un corpus dramaturgique où humain.es et machines coexistent sur scène, partageant des récits introspectifs autour de la solitude, de la mémoire et du soin. Toutefois, Hirata ne se limite pas à une approche utilitariste de la machine : il déploie au contraire une dramaturgie du partage, où le besoin de soutien émotionnel et la quête d’utilité sont distribués aussi bien du côté des personnages humains que robotiques. Dans Sayonara, cette dynamique s’incarne dans la relation entre une jeune femme mourante, interprétée par Bryerly Long, et l’androïde Geminoid F, engagée par ses parents pour lui fournir un réconfort émotionnel, notamment en lui récitant des poèmes. Cette séance de lecture, bien que fondée sur une capacité de stockage illimitée, devient paradoxalement le vecteur d’une forme d’humanité partagée. Ce motif atteint son apogée lors de la séquence finale, où, après la mort de la protagoniste humaine, la gynoïde récite un dernier poème funèbre (A Distant Place de Tanikawa Shuntarō), assumant alors une fonction quasi-rituelle de veilleuse funèbre. La pièce, écrite dans le sillage de la catastrophe de Fukushima, s’enrichit d’une seconde séquence où le robot est reprogrammé pour réciter des prières dans la zone d’exclusion nucléaire. Ce déplacement du cadre intime vers un espace de mémoire collective confère à la machine une dimension liturgique et élargit la portée du soin au-delà de la relation intersubjective, vers un devenir existentiel du soin, y compris pour la machine elle-même.

Dans I, Worker, autre pièce d’Hirata souvent présenté au sein d’une programmation double à la suite de Sayonara, cette réflexion s’approfondit à travers la cohabitation de deux acteur·ices humain.es et de deux robots domestiques de type Robovie R3. Tous les personnages — humains comme robotiques — partagent une expérience d’échec, d’inadéquation face à la fonction sociale qui leur est assignée. La femme a fait une fausse couche, l’homme traverse un épisode dépressif, et les robots peinent à remplir leur rôle de soutien. Le robot Takeo avoue ne plus vouloir travailler, une déclaration lourde de sens au regard de l’étymologie même du mot « robot », issu du tchèque robota (« travail forcé »). Momoko, le second robot, s’excuse à plusieurs reprises de ne pouvoir faire preuve d’empathie, cette qualité étant pourtant censé être au cœur de sa programmation. Comme l’observe Sarah Lucie, Hirata présente ici les personnages humain.s et robotiques comme également défaillants, tous traversés par une même inadéquation (2019 : 212).

Ces deux œuvres participent ainsi d’un geste critique subtil : elles procèdent à une horizontalisation sensible des rapports de pouvoir entre humain.es et machines. En ce sens, Hirata ne fait pas du robot un simple outil fonctionnel, mais un sujet dramatique en quête de reconnaissance, d’utilité et de soin. Ce théâtre post-anthropocentrique ne vise pas à célébrer la technologie, mais à interroger, à travers elle, les contours mouvants de la condition sensible posthumaine— humaine ou machinique — et à faire émerger une poétique de la fragilité partagée.
Contenu à relier / annoter (ressource physique, actant, conceptuelle)
Bande-Annonce des spectacles Sayonara et I, Worker du metteur en scène Oriza Hirata
E-mail de la personne ayant créé cette relation / annotation
Julie-Michèle Morin

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Sayonara Event

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