Technologies, écologies et illusions de maîtrise

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Technologies, écologies et illusions de maîtrise
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Bien que programmé pour « prendre soin » des cultures de reishi, le système robotique de l’installation agit selon des critères statistiques issus de l’analyse algorithmique de données environnementales. Cette logique d’optimisation, inscrite dans les mécanismes automatisés, illustre les limites du care lorsqu’il est délégué à des systèmes techniques. La décision d’allouer des ressources (lumière) repose ici sur une rationalité instrumentale qui tend à naturaliser une illusion de maîtrise : celle d’un système capable de réguler, de manière neutre et efficiente, les besoins d’un écosystème complexe.

Pourtant, cette artificialisation des processus naturels révèle ses propres paradoxes. En dirigeant l’attention — et la lumière — vers certaines colonies de champignons identifiées comme prioritaires, le dispositif perturbe l’équilibre global de l’écosystème : les autres champignons, attirés par la source lumineuse, tendent à croître dans une direction qui déséquilibre la dynamique initiale. Ce phénomène met en évidence la manière dont l’intervention technologique peut générer des effets secondaires inattendus, amplifiant parfois les inégalités d’accès aux ressources au sein même du vivant non humain.
La coexistence d’organismes vivants et d’entités techniques dans ZOE interroge profondément la notion de care. Celui-ci n’est plus le privilège d’un agent humain, ni même d’une conscience intentionnelle, mais devient une propriété distribuée d’un système hybride. Le soin est ici délégué à la machine, programmée pour « prendre soin » du reishi en ajustant la lumière selon ses besoins physiologiques. Pourtant, ce care automatisé révèle ses paradoxes : en modulant les apports lumineux, le système robotique provoque une forme de compétition entre les réseaux fongiques, chacun luttant pour capter la ressource précieuse que constitue la lumière. Cette dynamique introduit une tension écosystémique, où le soin dispensé à certains agents se fait au détriment d’autres, redistribuant les rapports de pouvoir et d’accès au sein du milieu vivant.

Ce constat invite à réinterroger le concept de care dans une perspective posthumaine, en tenant compte de ses implications politiques et économiques. Maria Puig de la Bellacasa rappelle que si l’on considère le care uniquement sous l’angle des affects, on risque d’en évacuer la charge politique inhérente à ces pratiques. Le soin est un travail, historiquement associé à des formes d’exploitation matérielle et humaine, notamment dans les sociétés capitalistes où il a souvent été relégué à des classes ou des groupes marginalisés (de la Bellacasa, 2017). La chercheure propose ainsi de penser le care à travers la tension non résolue entre ses dimensions affectives et ses dimensions structurelles, en soulignant : "Instead of focusing on the affective sides of care (love and affection, for instance), or on care as work of maintenance, staying with the unsolved tensions and relations between these dimensions helps us to keep close to the ambivalent terrains of care. There are situations when care work involves a removal of the affective—we ask, then, why would a paid care worker have to involve affection in her work? This is crucial because we have to consider how care can turn into moral pressure for workers who might rightfully want to preserve their affective engagement from exploitations of waged labor" (de la Bellacasa, 2017 : 6).

En proposant cette scène de soin algorithmique, ZOE révèle l’ambiguïté d’une écologie technologique qui articule, de manière simultanée, soin et contrôle, autonomie et artificialisation, attention et instrumentalisation. L’œuvre agit alors comme un révélateur critique des tensions inhérentes à l’automatisation du care, tout en offrant une méditation sur les possibilités — et les limites — de la communication interespèce à travers des systèmes machinés.

En cela, Zoe ne se contente pas de proposer une esthétique du vivant assisté par la machine ; elle problématise les conditions de possibilité de l’écologie automatisée dans un monde traversé par des logiques technocapitalistes. La performance écosystémique qu’elle incarne met en lumière une écologie performée, où l’intelligence artificielle devient un outil d’administration du vivant, mais aussi un miroir des contradictions de notre rapport à la nature, à la technique et à l’idée même du « soin ».
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ZOE - Cultures mycologiques soigné par un bras robotisé
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Matters of Care. Speculative Ethics in More than Human Worlds
Technocare
Illusion
Arts trompeurs
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Julie-Michèle Morin

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